Chronique du 27 janvier 2017 — Diocèse de Blois

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Chronique du 27 janvier 2017

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LA PHOBIE DE L’ORIGINE

 

On a beaucoup parlé, à juste titre, de l’Histoire mondiale de la France qui vient de paraître sous la direction du médiéviste Patrick Boucheron. Dans cet ouvrage, 122 historiens ont conjugué leurs compétences pour illustrer un mot de Michelet (non sans en modifier le sens au passage) : « ce ne serait pas trop de l’histoire du monde pour expliquer la France ». Quoi de plus légitime, en effet, que d’expliquer la France par le monde, et de remettre ainsi en question un enseignement de l’histoire qui a trop longtemps expliqué le monde par la France, en faisant d’elle naïvement le centre du monde ?

Mais le projet de Patrick Boucheron est sous-tendu par une philosophie. Il s’en est expliqué en pourfendant l’idée d’origine. « L’histoire, affirme-t-il, n’a ni commencement ni fin. Donc il ne sert à rien de chercher les origines de la France… Affirmer l’histoire contre l’origine, c’est vraiment un principe, un socle. » Nous voilà fixés.

Reportons-nous cependant à une histoire que nous connaissons bien, à savoir notre histoire personnelle : il n’est pas douteux qu’elle a eu un commencement, notre naissance, et qu’elle aura une fin, notre mort. Quant au caractère vital du rapport à l’origine, nous en avons la preuve chez ces enfants adoptés qui n’ont de cesse de retrouver l’identité de leurs parents « biologiques », comme si la capacité de construire leur avenir dépendait étroitement des lumières qu’ils peuvent recueillir sur leur passé : pas de projet sans origine, pas de construction sans fondation assurée. On est donc surpris de lire sous la plume de Patrick Boucheron : « S’il n’y a pas d’origine, il y a un projet. La seule identité de la France, c’est le projet que l’on se donne politiquement, collectivement. »

Pourquoi cette phobie de l’origine ? Boucheron s’en explique par l’étymologie : « L’origine est à la fois un "commencement" et un "commandement". C’est le même mot en grec – archè, d’où vient archéologie – et en italien, le principe est aussi le prince. » De fait, le commencement est un commandement. Mon origine est prescriptive ; elle m’assigne une généalogie, une préhistoire, et par suite une identité, que je peux accepter ou renier, mais que je n’ai pas choisie. Et c’est de toute façon à partir d’elle, et non en-dehors d’elle, que se fera mon histoire.

Je trouve pour ma part très inquiétante cette phobie de l’origine théorisée doctement par un professeur au Collège de France. Dans l’intention louable de prévenir les dérives identitaires ou ethnocentriques, elle alimente le fantasme d’un homme auto-construit, sans origine et « sans qualités » (Robert Musil), un voyageur sans bagages à qui ses projets et surtout ses caprices tiendraient lieu d’identités successives. Un tel homme existe-t-il ? Est-il souhaitable qu’il existe ? Et si le Christ compte pour nous, quelle signification donner encore à l’histoire humaine singulière de cet homme venu de Dieu et reparti nous préparer une place, Lui qui nous a appris à nous tourner vers l’Origine en l’appelant ensemble : notre Père ?

 

 

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