Homélie de la messe du 6 décembre 2020 — Diocèse de Blois

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Diocèse de Blois

Homélie de la messe du 6 décembre 2020

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Messe solennelle de clôture de l'année Christophe Lebreton
en la cathédrale saint Louis de Blois
2e dimanche de l'Avent

Lectures du 2e dimanche de l’Avent (B)

Isaïe 40, 1-5.9-11
Psaume 84
2 Pierre 3, 8-14
Marc 1, 1-8

 

 « Commencement de l’Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu ». Ce mot de « commencement » a quelque chose de magique. Il porte en lui toute la promesse de la nouveauté, d’une nouvelle chance donnée là où il n’y avait plus d’espérance. C’est un peu comme si nous étions reconduits au moment de la création, où avait surgi l’absolue nouveauté : « au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. »

Ici, ce n’est pas la création, mais la Bonne Nouvelle qui est proclamée dans l’évangile de saint Marc. Qu’est-ce que la Bonne Nouvelle ? C’est l’annonce qu’arrive enfin ce qu’on n’espérait plus : la lumière qui luit dans les ténèbres, le salut qui se manifeste alors qu’on ne l’attendait plus.

Tout était déjà annoncé, pourtant. Pour le remettre en mémoire, l’évangéliste saint Marc combine deux prophéties, l’une de Malachie et l’autre d’Isaïe, prononcées plusieurs siècles auparavant : « Voici que je vais envoyer mon messager pour qu’il prépare un chemin devant moi », voilà pour Malachie ; « Une voix crie : "dans le désert, frayez le chemin du Seigneur ; dans la steppe, aplanissez une route pour notre Dieu" », voilà pour Isaïe.  La combinaison des deux citations permet de dire à qui appartient cette « voix » qui crie dans le désert : ce n’est pas une voix anonyme, c’est la voix du Messager spécialement envoyé par Dieu. Et surtout, la citation de Malachie subit une modification légère en apparence, mais fondamentale en réalité. Au lieu de dire : « qu’il prépare un chemin devant moi », saint Marc dit : « qu’il prépare un chemin devant toi ». C’est comme si Dieu s’adressait à quelqu’un en lui désignant le messager qui lui préparera le chemin : ce tiers mystérieux, c’est Celui dont Jean-Baptiste dira qu’il vient derrière lui et qu’il est plus fort que lui ; qu’il ne baptisera plus dans l’eau, mais dans l’Esprit Saint. Le Seigneur dont le messager doit préparer le chemin, c’est le Christ.

Ces précisions ne sont pas de vaine érudition : en lisant ces textes que l’Église nous propose au début du temps de l’Avent, nous découvrons que le « commencement de la Bonne Nouvelle », ce sont des personnes concrètes qui l’incarnent. Tant qu’on n’a pas dit qui va venir, la venue reste quelque chose d’abstrait ; tant qu’on n’a pas montré celui qui va élever la voix dans le désert, l’exhortation à préparer le chemin du Seigneur reste lettre morte.

Dieu a besoin de personnes concrètes pour que la prophétie puisse avoir un commencement de réalisation. La Bonne Nouvelle, répétons-le, n’est pas un simple message édifiant, mais un événement transformant. Pour souligner l’inouï de cet événement, saint Marc procède comme l’auteur inconnu du récit de la création. Le récit de la création dit : « et la lumière fut », en réponse à l’ordre de Dieu « que la lumière soit ». Ici, Marc écrit : « alors Jean parut dans le désert » : Jean-Baptiste paraît tout à coup, comme un miracle de Dieu. Un peu plus loin, il écrira de même : « alors parut Jésus, venant de Nazareth de Galilée ».

Il en est ainsi de tous les envoyés de Dieu : ils apparaissent tout à coup, comme des événements qui interrompent la continuité de l’histoire, là où on ne les attend pas, alors qu’on ne les attend plus. Dans son roman La puissance et la gloire, inspiré par la persécution anti-catholique qui avait sévi au Mexique dans les années Trente, l’écrivain anglais Graham Greene met en relief cette irruption de l’inattendu qui est comme la signature de Dieu. Lorsque le personnage principal, un prêtre catholique, est arrêté et exécuté, tout semble fini sans espoir ; mais voilà qu’à la dernière page arrive tout à coup un autre prêtre sorti on ne sait d’où, et le roman s’achève sur ce rebondissement dont on devine qu’il va tout changer en cassant la fatalité de la persécution. Graham Greene a illustré magistralement cette vérité de l’histoire du salut : c’est dans des situations sans issue que Dieu manifeste sa « puissance » et sa « gloire », et la situation sans issue par excellence est la croix de Jésus d’où jaillira la vie.

Tout au long de cette année, nous nous sommes laissés guider par la figure du bienheureux Christophe Lebreton et de ses compagnons – une histoire dont nous savons qu’elle débouche sur une situation sans issue où Dieu manifeste sa « puissance » et sa « gloire ». Christophe a découvert l’Algérie par un concours de circonstances, à travers son service militaire comme coopérant à Alger. Il y est revenu par obéissance, lorsqu’il a été nécessaire de compléter les effectifs des moines de Tibhirine. Il y a rendu le témoignage du martyre par fidélité à sa vocation, comprenant qu’il devait assumer toutes les conséquences du choix qu’il avait fait d’être fidèle jusqu’au bout à son Dieu et à ce peuple où Dieu l’appelait à le servir. Être disciple du Christ, c’est vivre cette double fidélité à Dieu et aux hommes comme le Christ l’a vécue : de ce point de vue, il y a de grandes similitudes entre Christophe et Jean le Baptiste. Mais chez l’un comme chez l’autre, l’échec apparent d’une vie sans issue prélude à la manifestation de la gloire de Dieu et de sa puissance de vie.

 

***

 

Dans les épreuves que traverse l’Église de ce temps, nous avons besoin de pareils témoins d’abord pour nous-mêmes, pour conforter notre propre espérance. Mais nous ne pouvons pas accueillir leur témoignage sans nous savoir sollicités de devenir témoins à notre tour.

Alors que je m’étais mis à la recherche d’une méditation de frère Christophe sur la figure de Jean-Baptiste, j’ai pour la fête de sa nativité le 24 juin 1991, ce beau texte que je vous livre en conclusion :

[Nous nous préparons à accueillir le Seigneur] « Mais au fond, que pouvons-nous faire ? Le voici, il vient, il est là : l’Agneau, l’Époux, et c’est lui qui nous purifie, nous lave, nous offrant la joie du salut, la joie d’être sauvés, la joie d’être aimés. Il vient nous visiter : une visite du soleil. Et Jean-Baptiste nous dit simplement l’attitude juste devant Celui qui vient : l’humilité tournée vers la miséricorde, l’humilité toute aimantée par l’Amour. Le soleil vient nous visiter, le soleil de la miséricorde, pour nous faire connaître la joie du salut dans le pardon de nos péchés, nous préparer, nous mettre dans l’attitude juste, [celle de] l’humilité. »

Ce que frère Christophe nous rappelle ici, c’est de quelle étoffe sont faits les témoins : les grands témoins du Christ sont simplement ceux qui, dans l’humilité d’une vie offerte, ont su discerner et accueillir la venue de l’Époux. Et cela a suffi pour faire d’eux de nouveaux Jean-Baptiste, capables de révéler à un monde sans espérance la joie de se savoir aimé. C’est cette « intelligence du cœur » (comme le dit la prière d’ouverture), cette aptitude à voir et à accueillir le soleil de la miséricorde, qu’il nous faut demander par leur intercession. Alors vaudra aussi pour nous ce qui est dit du Baptiste : « voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour ouvrir ton chemin ».

 

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