Homélie de la Vigile Pascale 2021 — Diocèse de Blois

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Homélie de la Vigile Pascale 2021

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Aube Pascale

(Évangile : Marc 16, 1-7)

 

« De grand matin, le premier jour de la semaine, elles se rendent au tombeau ».

« De grand matin », nous y sommes, frères et sœurs. Les circonstances nous y obligent, mais elles nous font goûter cette année un aspect de la nuit de Pâques que nous ne connaissons guère et qui a toute sa valeur. Ceux d’entre vous que j’ai emmenés en pèlerinage en Terre Sainte se souviennent sans doute de ce matin à Jérusalem où nous nous levons en pleine nuit et où nous montons sur la terrasse de l’hôtel Gloria, dans la vieille ville, pour y célébrer l’aube pascale. Avec nos cierges allumés nous sommes tournés vers l’Est, vers le Mont des Oliviers, où le ciel commence lentement à pâlir. Nous écoutons les lectures de la nuit pascale, nous proclamons notre foi et renouvelons les promesses de notre baptême, nous sommes aspergés avec l’eau, puis nous redescendons, et à travers les rues désertes nous nous avançons en procession pour aller vers le Saint-Sépulcre et y célébrer la messe solennelle de la Résurrection. Qui a vécu l’aube pascale dans les murs de Jérusalem ne peut plus jamais l’oublier. C’est comme un lieu de naissance pour notre foi et pour nous-mêmes.

 

« Le premier jour de la semaine, elles se rendent au tombeau ».

« Elles », ce sont les trois femmes : les deux Marie et Salomé. La veille au soir, c’étaient les hommes qui agissaient, et le dernier d’entre eux était Joseph d’Arimathie qui demandait à Pilate le corps de de Jésus, achetait un linceul, déposait Jésus dans un tombeau et roulait la pierre contre l’entrée du tombeau. Les femmes, elles, ne faisaient rien : elles s’en tenaient à regarder « où on l’avait mis ».

Les hommes ont donc agi : ils ont agi pour faire condamner Jésus, ils ont agi pour le mettre à mort, ils ont agi pour constater qu’il est bien mort (dans l’évangile de Marc, avant de donner le corps à Joseph d’Arimathie, Pilate se renseigne et emploie le mot « cadavre », ce qui équivaut à un constat officiel et coupe court aux hypothèses fantaisistes qui circuleront plus tard pour nier la résurrection). Enfin, ils ont ratifié cette mort en faisant ce que l’on fait toujours quand quelqu’un est mort : on l’ensevelit.

Et c’est alors, quand il n’y a plus rien à faire, que les femmes agissent. Ne voyez surtout pas dans cette remarque un trait de misogynie, c’est tout le contraire ! Quand il n’y a plus rien à faire, les femmes sont toujours là, alors que les hommes, eux, disparaissent. Elles sont là et elles agissent. Je pense à ces reportages filmés tournés en 1945 dans Berlin en ruines, où l’on voit se former des chaînes pour commencer à évacuer les gravats et préparer déjà les reconstructions. Sur ces images, il n’y a que des femmes. Elles font un travail titanesque et apparemment sans signification : elles font la chaîne pour enlever des pierres, et encore des pierres, dans un champ de ruines. Et c’est pourtant ce travail des femmes qui permettra ensuite aux hommes de reprendre courage et de commencer à reconstruire. Les femmes agissent lorsque les hommes eux-mêmes ne voient plus à quoi il servirait encore d’agir.

 

Elles agissent de grand matin, au lever du soleil. Et là aussi, c’est pour un travail que les hommes peuvent juger sans signification : faire l’onction du corps de Jésus. On sent que l’évangéliste lui-même, qui est un homme, ne croit pas que cela veuille dire quelque chose. D’ailleurs, alors même qu’elles ont fait toutes sortes de préparatifs, elles ont tout simplement oublié qu’il y avait une énorme pierre qui fermait l’entrée du tombeau. Il est bien temps de se dire en chemin : « qui nous roulera la pierre ? » Elles auraient pu y penser plus tôt ! Mais voilà : y penser plus tôt, cela voulait dire en parler aux hommes, qui les auraient rabrouées à coup sûr. Elles ne l’ont donc pas fait : pas du tout parce qu’elles avaient oublié, mais parce que leur projet n’était pas communicable aux hommes. Alors, elles ont préféré se taire et entreprendre quelque chose qui pouvait paraître sans issue, ne pas fermer la porte à l’impossible. Les femmes sont les sentinelles du matin, elles sont aussi les sentinelles de l’espérance.

La grande mystique du siècle dernier Adrienne von Speyr a ce beau commentaire à propos des trois femmes : « Nous ne savons pas, écrit-elle, ce que ces femmes pensent de la mort du Seigneur. Nous savons seulement qu’elles persistent dans leur mission, qu’elles sont fidèles, fidèles à la communauté, fidèles à leur mandat, fidèles à leur appartenance au Christ. […] Elles font ensemble ce qui est demandé dans un esprit de communauté, un esprit de mission, et sûrement aussi dans un esprit de gratitude. Les trois femmes ont été rachetées, et elles vivent les premières heures de la résurrection sans savoir que le Seigneur est ressuscité. Mais elles sont là parce qu’elles doivent être là[1]. »

Elles sont là parce qu’elles doivent être là. Leur présence donne sens à ce qui n’en a pas, à l’après-catastrophe, où plus rien n’existe, où l’espérance est morte, Et il est remarquable que ces réflexions ouvrent un avenir. Elles ne disent pas : « ce n’est pas la peine, il n’y a personne pour rouler la pierre » ; elles disent : « qui nous roulera la pierre ? » Elles ignorent la réponse, mais elles attendent une réponse. Le poids de la pierre dépasse leurs forces, mais quelque chose peut encore se produire qui compensera ce manque de force. Alors que les disciples ont disparu, ces femmes sont encore chrétiennes : car être chrétien, ce n’est pas se croire plein de force, c’est savoir que dans notre faiblesse Dieu manifestera sa force. Sans savoir encore que le Seigneur est ressuscité, ces femmes vivent déjà de la résurrection.

Cela n’empêche pas que l’apparition de l’ange les prenne au dépourvu, ni qu’elles soient effrayées. Mais l’ange ne leur dit pas seulement de ne pas avoir peur : il prend acte de leur recherche et les envoie en mission. Seul peut être envoyé en mission quelqu’un qui est resté disciple, et elles sont restées disciples. Elles pourront donc maintenant devenir disciples-missionnaires. Pour elles se renouvellera ce qui s’était passé pour Marie le jour de l’Annonciation : l’Ange lui avait dit de ne pas avoir peur, et tout de suite il lui avait donné sa mission. « Sois sans crainte Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu ».

Leur mission n’est pas un rêve, une mythologie qui mettrait entre parenthèses les événements tragiques qui se sont produits la veille. Jésus a maintenant un nouveau nom, ajouté aux autres : « le Crucifié ». En disant « vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié », l’Ange souligne que la mort terrible et humiliante de Jésus n’est pas laissée de côté, mais fait partie pour toujours de son histoire. Jésus n’a pas échappé à la mort, mais le Crucifié est ressuscité. Le mort est le vainqueur de la mort. Nous ne sommes pas dans la mythologie, nous sommes dans le réel, dans l’histoire. Et désormais, celles qui s’étaient mises à la disposition du Seigneur de son vivant pour le servir, continueront à le servir ressuscité. Mais à compter de ce jour, il y aura quelque chose de totalement nouveau : il les précèdera. Il nous précèdera toujours, parce qu’il est notre avenir. Et c’est la source du dynamisme intérieur qui anime les disciples-missionnaires : ils sont toujours en mouvement, puisqu’ils savent qu’Il n’est jamais en un endroit fixe, mais qu’Il est toujours devant eux. C’est le dynamisme même de la mission.

Résumons-nous. En cette aube pascale, nous apprenons des trois femmes à continuer à agir pour le Seigneur même dans les situations humainement sans issue. Nous apprenons que ce qui compte pour le royaume des cieux n’est pas de mesurer ce que nous faisons, mais de tenir la place que le Seigneur nous a assignée. Nous apprenons aussi que cela a du sens pour lui permettre de se révéler comme le Ressuscité, le Vivant. Nous apprenons enfin à ne pas avoir peur de rester disciples, pour devenir quand il le voudra et comme il le voudra disciples-missionnaires, Lui qui nous précède et nous précèdera toujours avec la puissance de sa résurrection.

 

[1] Adrienne von Speyr, Saint Marc. Points de méditation pour une communauté, Socéval Éditions 2006, p. 701.

 

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